2 juin 2021

L’an dernier, le Bureau du Conseil Culturel d’Alsace demandait le retrait de l’arrêté du 3 avril 2020, paru au Journal Officiel du 5 avril 2020, rendant obligatoire la certification en langue anglaise pour les candidats inscrits aux diplômes nationaux de licence, de licence
professionnelle et au diplôme universitaire de technologie (et aussi du BTS selon le décret n° 2020-398 du 3 avril 2020 relatif à la certification en langue anglaise publié dans le même JO). Cette obligation constitue non seulement une réelle menace pour la diversité linguistique, mais elle met aussi en péril les mesures de politique linguistique régionales mises en œuvre dans les régions transfrontalières, en particulier dans l’Académie de Strasbourg.

Malgré les nombreuses oppositions formulées à l’encontre de cette obligation (un recours a été déposé devant le Conseil d’État par 15 associations), d’une part, et le non renouvellement du contrat avec l’entreprise privée PeopleCert qui avait été choisie, non sans créer la polémique, pour la passation des tests en 2021, le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a informé, le 10 mai dernier, les présidentes et présidents d’universités ainsi que les directrices et directeurs d’IUT, que l’obligation de certification fixée par le décret du 3 avril 2020 restait « évidemment » maintenue et qu’il leur appartenait désormais de procéder à la mise en œuvre de cette obligation de certification et d’organiser la passation des tests.

Comment expliquer cette obstination au moment où – comble d’ironie, à la veille de la Pentecôte – le Conseil constitutionnel censure les principales avancées introduites par la loi dite Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion des langues régionales, au motif que « la langue de la République est le français » (article 2 de la Constitution) ? Il est remarquable que le principe d’une certification obligatoire dans une langue autre que le français n’ait fait l’objet d’aucune censure, ce qui porte à croire que toutes les langues et les plurilinguismes ne se valent pas aux yeux de l’Etat. Il convient dès lors de s’interroger sur les visées réelles d’une telle obligation : l’imposition de compétences bilingues français-anglais, au détriment de la formation dans d’autres langues pourtant bien vivantes, ne peut relever que d’une vision utilitariste et marchande du plurilinguisme, réduisant la jeunesse à un vivier de chercheurs d’emplois internationaux et faisant fi de la dimension culturelle de l’apprentissage des langues.

L’argument selon lequel la certification reste également possible dans d’autres langues, en plus de celle en langue anglaise, n’est pas recevable, dans la mesure où il s’avèrera particulièrement contreproductif de demander à des étudiants ayant besoin d’autres langues que l’anglais pour leur projet professionnel de fournir sans raison un double travail.

Pour ces étudiants, il est donc nécessaire de rendre possible la passation d’une certification dans la langue de leur choix à la place de la certification en anglais, et non pas en plus. Est-il vraiment besoin de rappeler ici que le plaisir et l’envie d’apprendre une langue sont bien plus efficaces que la contrainte ? De plus, l’expérience de deux années de crise sanitaire mondiale a montré que la maîtrise des langues vivantes, que ce soient nos langues régionales ou les langues de nos voisins européens, était indispensable dans la mise en œuvre de la solidarité, dans la mesure où celle-ci ne peut se construire que dans la proximité.

On sait aujourd’hui à quel point les étudiants ont été touchés par cette crise sanitaire : voulons-nous fragiliser encore plus leur avenir en leur imposant les perspectives standardisées d’un bilinguisme utilitaire et concurrentiel au lieu d’un plurilinguisme vécu et opérationnel ?

Dans le cas particulier de l’Académie de Strasbourg, il faut souligner que l’obligation de certification en anglais constitue une violation des conventions en vigueur portant sur la politique régionale plurilingue. La question de la formation des enseignants a en effet été identifiée comme la clé de la réussite de cette politique, or tous les efforts entrepris jusque-là pour renforcement de la formation en allemand et en alsacien des étudiants se destinant au professorat des écoles, qui seront tous amenés à dispenser un enseignement de langue régionale, risquent d’être réduits à néant. Cet exemple, qui n’en est qu’un parmi d’autres, montre à quel point il est absurde d’imposer le choix de la langue faisant l’objet d’une certification obligatoire et témoigne d’un manque de connaissance du terrain éducatif plus que surprenant des responsables nationaux en charge de la formation des futurs enseignants.

Nous demandons dès lors à nos élu.e.s nationaux et locaux, et en particulier aux candidat.e.s aux élections départementales et régionales, de se saisir immédiatement de ces questions, en demandant instamment au Premier Ministre et à Mme la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche de revoir leur position et de retirer l’obligation de certification en langue anglaise conditionnant l’obtention des diplômes de Licence, DUT et BTS, ou, à défaut de retrait, de modifier les textes en vigueur afin que la certification obligatoire ne concerne plus uniquement la langue anglaise mais puisse être possible dans toute langue vivante autre que le français.

Pour le Conseil Culturel d’Alsace
Son président : Christian Hahn